« Que pas une de nos actions ne soit pure de la colère » (Aden Arabie, 1931)

Revue ADEN

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Renaud QUILLET
(adhérent au G.I.E.N. depuis 2003 et membre de son Conseil d'Administration ; collaborateur régulier de la rubrique "Comptes rendus" de la revue Aden ; intervenant au colloque de 2005 )

" Je me souviens... " : " J'avais vingt ans ". Nous sommes à la fin des années 70. La citation sert de prétexte à un sujet de rédaction donné chaque année par ma mère, professeur de lettres. Première occasion de rencontrer Nizan, que sa mort précoce nimbe pour moi comme pour bien d'autres d'une aura romantique, semblable à celle d'Alain Fournier ou de Gérard Philipe.
Un peu plus tard, Maman m'incite à lire La Conspiration. C'est un volume rouge relié du Club français du Livre. Il contient une photo de l'auteur, qui certes n'est pas vraiment beau : le fameux strabisme inverse de celui de Sartre. Mais un physique intéressant. Je suis conquis par le livre. Le thème, un peu. Les sentiments, beaucoup. La perfection et la souveraineté du style, surtout. Qui dans mon panthéon personnel le place près de Stendhal, Flaubert, Zola.
Un peu plus tard, la lecture d'Aden, puis d'Antoine Bloyé, plus tard encore du Cheval de Troie. Je n'acquiesce pas toujours au fond : quant à moi, j'aime et je respecte mes parents et mes maîtres, et ne rejette pas en bloc la France criblée par Les Chiens de garde ; et puis peut-on avoir été honnête, intelligent et pourtant apparatchik ? Mais je le reconnais bien comme un contemporain capital.

" Nizan... Aujourd'hui ! " : Vingt ans ou un peu plus après la première rencontre, l'attirance est toujours vivante, qui a perduré et s'est trouvée des justifications plus argumentées. L'entrée dans le monde des adultes, la recherche historico-politique n'ont pas fané le charme de naguère. Chronique de Septembre force au contraire le respect comme modèle de combinaison réussie de rigueur dans l'analyse et de clarté dans l'engagement. Laissons à d'autres, mieux armés, de revenir sur l'héritage proprement littéraire, qui, même s'il est artificiel de le prendre à part, nous semble se défendre très bien – et de mieux en mieux – lui-même.
Mais ne fuyons pas la question qui peut fâcher : a-t-il encore quelque chose à nous dire, ce vaillant kominternien ? Je répondrai franchement oui, et ce n'est pas la seule rupture de 1939 qui le sauve à mes yeux : le Nizan des années 30 n'est pas plus réductible au stalinisme que Barrès à l'antidreyfusisme ou Bainville au maurrassisme. Au-delà des erreurs et des aveuglements, une vie et une oeuvre dont l'historien prend mieux aujourd'hui la mesure de l'épaisseur et des arborescences, et qui en imposent à l'intelligence et à la conscience civique. Pour autant, le dernier Nizan est bien celui de l'engagement dans une querelle qui est peut-être le pivot de notre histoire contemporaine. La béance de son destin nous donne par surcroît licence de spéculer : qu'eut-il fait de 1940 à . ? De fantasmer sur d'hypothétiques rencontres : de Gaulle, Fanon, Guevara.
Destin vécu, rêvé : et toutes les raisons, pour paraphraser Sartre, d'étudier, éclairer et transmettre " Nizan vivant ".

[ Renaud Quillet, né en 1967 à Albert (Somme), est agrégé d'histoire et docteur en histoire contemporaine de l'Université de Picardie Jules Verne, où il enseigne à l'Institut Universitaire de Formation des Maîtres. Ses thèmes de recherche concernent avant tout l'histoire politique des XIXème et XXème siècles, et spécialement celle de la gauche républicaine et révolutionnaire en France depuis 1848 et des communautés, réseaux et lieux politiques et culturels en temps de paix et en temps de guerre. Il s'intéresse aussi notamment à l'histoire politique, culturelle et sociale des intellectuels et des écrivains. Il a ainsi participé au colloque "Paul Nizan" de novembre 2005 au lycée Henri IV.
Publications : La gauche dans la Somme (1848-1924), Préface de Jean-Jacques Becker, Amiens, Editions Encrage, "Hier", 2009. Prépare actuellement une biographie de Jules Barni (1818-1878), philosophe kantien et homme politique républicain ]