« Que pas une de nos actions ne soit pure de la colère » (Aden Arabie, 1931)

Revue ADEN

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Jean-Claude PINSON

" Je me souviens... " : Automne 1966, j'arpente insolent les couloirs de Louis-le-Grand : c'est décidé, adieu la khâgne et l'internat. Il est urgent de militer à plein temps (remous à l'Union des Etudiants Communistes dont je suis adhérent, la fondation de l'U.J.C.(ml) est pour décembre, mon casier est plein de tracts jusqu'à la gueule).
J'ai vingt ans à peine et porte un costume hérité d'un grand-père cheminot, aiguilleur de son état à la gare de Nantes-Etat. Joue avec au gandin pour draguer sur le Boul'Mich. Dandysme funèbre : l'aïeul vient de mourir. Mais dandysme politique aussi, car c'est comme une armure que j'endosse la pelure du héros (il a fait Verdun, fait dérailler des trains, milité à la C.G.T.). Une armure pour n'être plus " corrompu par les humanités ". Pour aller faire le coup de poing au Quartier Latin contre les fachos, aussi bien que pour descendre dans le caveau du " Chat-qui-pêche ", où je passe alors la nuit à m'enivrer sous les voûtes de la sonnerie aux vivants que Don Cherry joue à la pocket-trumpet.
Nizan, sûrement, est passé par là. Car j'ai lu, quelques mois plus tôt, en hypokhâgne, Aden Arabie . Pas envie, plus envie, de m'agréger à la " troupe orgueilleuse de magiciens " que la République entretient rue d'Ulm (c'est pourtant là, autour de la ronéo, que nous aurons notre Q. G.).
Nitre et Sarzan. Car, d' Aden Arabie , nous lisons sans doute d'abord la Préface. Brève période en effet où nous ne jurons que par Sartre, à qui nous avons envoyé nos premiers écrits (nous : trois ou quatre khâgneux et hypokhâgneux entraînés par Michel Guérin, nantais lui aussi). Visite au Maître, qui me félicite pour quelques poèmes révoltés. Mais tique quand je lui parle de Tel Quel où déjà dérivent mes sympathies littéraires.
Ai-je lu aussi, à cette même époque, Antoine Bloyé ? Je ne sais plus. Rétrospectivement en tout cas, j'y trouve la panoplie idéale pour saisir mon affaire : ancêtres cheminots, Nantes (" la ville d'où l'on ne déménagera plus "), Saint-Nazaire où je passerai près de vingt ans à conspirer en pure perte, et la question surtout, la lancinante question de la classe ouvrière qu'on quitte.

" Nizan... Aujourd'hui ! " :Nizan, pour ne pas s'endormir. Pour garder, en littérature et dans la vie, le sens de la colère (il est facile de la laisser s'éteindre dans un monde où aboient de plus en plus de chiens de garde).
Nizan, pour ne pas perdre de vue la réalité de la lutte des classes (quelque changées qu'en soient les données). Mais aussi (ce n'est pas forcément contradictoire) pour oser se désassembler, se dépeupler (même si pour écrire on a besoin d'un " peuple qui manque "). Pour garder vif ce sens de la démission (qui n'est pas le renoncement), dont il a su faire preuve au moment du pacte germano-soviétique. N'être jamais en laisse, quoi qu'il en coûte.
Nizan, aussi, pour une certaine idée du roman, où continueraient de peser, comme elles pèsent dans la réalité, les parts de l'histoire et du social. Nécessaires ingrédients d'un roman vraiment " poïkilos " (bariolé) – et en même temps contrepoids aux tentations d'une narration trop dandy (ou " shandy ").

[Jean-Claude Pinson est né en 1947. Enseigne la philosophie à l'Université de Nantes.
A publié une dizaine d'ouvrages, notamment des essais sur la poésie contemporaine ( Habiter en poète , Champ Vallon, 1995 ; Sentimentale et naïve, Champ Vallon, 2002) et des livres de poésie. Derniers titres parus : Free Jazz , Joca Seria, 2004 (poésie); L'art après le grand art , éditions Cécile Defaut, 2005]