« Que pas une de nos actions ne soit pure de la colère » (Aden Arabie, 1931)

Revue ADEN

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Gilles KERSAUDY
(co-fondateur du G.I.E.N. et ancien membre de son Conseil d'Administration ; membre du Comité de Lecture de la revue Aden et collaborateur régulier à sa rubrique "Comptes rendus" ; intervenant au colloque de 2002 )

" Je me souviens... " : Mon premier contact avec l'oeuvre de Nizan ? Aden Arabie et La Conspiration, dans cet ordre ou dans l'ordre inverse, ma mémoire de lecture n'est plus très sûre... En tout cas, c'était au début des années quatre-vingts, au " mauvais âge entre vingt et vingt-quatre ans " où nous attend un avenir " brouillé comme un désert plein de mirages, de pièges et de vastes solitudes " (La Conspiration). Difficile pour un jeune normalien d'échapper à une lecture identificatrice même si le mythe Nizan avait de quoi intimider.
Par tempérament, l'auteur de La Conspiration m'attire déjà davantage que celui d'Aden, le romancier polyphonique plus que le polémiste. La Conspiration m'apparaît d'emblée comme un grand texte. Dans mon édition Folio-Gallimard – en couverture un jeune dandy, poing levé surplombant un buste féminin, l'illustration est de Dimitri Selesneff – je retrouve quelques passages soulignés ponctuant les temps forts où la lecture se fait rencontre authentique, sur le mode de la révélation ou de la reconnaissance. Un exemple ? " Personne n'est heureux comme les gens qui n'attendent rien, qui n'ont plus d'avenir parce que tout est mis en question, comme les gens qui s'aiment la veille d'une bataille, de la mort : Bernard faisait cette découverte pour la première fois " (La Conspiration). Au-dessus du texte de présentation du roman, au stylo bille bleu, une annotation, citation empruntée à René Girard, maître de lecture de ces années-là : " Le romancier est un héros guéri du désir métaphysique ". Ce qui dans La Conspiration me séduit et me donne à penser ? Je crois me souvenir que c'est moins la virtuosité narrative ou la valeur de témoignage sur l'époque que le sentiment de l'absurde qui affleure dans mainte page et dont témoigne cet autre extrait, souligné d'un trait presque rageur : " On a toujours voulu dans un absurde esprit de calembour sur le sens substituer une signification à une direction. Mais l'existence n'est en relation avec rien. Toute l'intelligence échoue à découvrir un rapport de signification dans la direction unique de la vie vers la mort " (La Conspiration).

" Nizan... Aujourd'hui ! " : Mon rapport actuel avec l'oeuvre de Nizan est indissociable de ma rencontre avec Anne Mathieu et de ma participation aux travaux du G.I.E.N. Tout est parti d'un échange de documents concernant Emmanuel Berl sur l'oeuvre duquel j'avais entrepris une thèse. Auteur de deux brûlots anti-bourgeois à la fin des années 20, il inspira le Nizan pamphlétaire. Je lui ai consacré dans la revue Aden deux articles qui s'inscrivent dans la rubrique portant sur les intellectuels des années 30. Anne Mathieu, de son côté, avait étudié dans le premier numéro d'Aden l'évolution du regard de Nizan sur Berl. Au cours de ces années, les deux écrivains ont en commun une intense activité journalistique et un intérêt pour la politique, nationale ou étrangère. J'aimerais, dans l'esprit des travaux que je viens d'évoquer, comparer un jour la façon dont chacun d'eux rend compte des Accords de Munich dans Chronique de Septembre et les Pavés de Paris. D'un autre côté, je songe aussi à recentrer mon travail sur la figure de Nizan romancier car, au fil des années, je suis devenu plus sensible à la puissance de son style et à la richesse de son univers imaginaire. Tout est loin d'avoir encore été dit sur Antoine Bloyé et Le Cheval de Troie qui méritent non seulement d'être réévalués par la critique (les rééditions du centenaire devraient y contribuer), mais aussi de figurer plus souvent parmi les oeuvres qu'on étudie dans les classes.

[Gilles Kersaudy, né en 1960, est agrégé de lettres modernes. Il enseigne le Français langue étrangère à l'Université de Nantes.
Il a publié "La tentation marxiste d'Emmanuel Berl" (Aden, n°2, octobre 2203) et "Emmanuel Berl à la rencontre du prolétariat des années trente" (Aden, n° 3, octobre 2004)]