« Que pas une de nos actions ne soit pure de la colère » (Aden Arabie, 1931)

Revue ADEN

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Didier ERIBON

" Je me souviens... " : J'ai découvert Nizan, comme c'est le cas de tant d'autres lecteurs, par la préface de Sartre à Aden Arabie. Quand j'étais lycéen, j'avais développé une véritable passion pour l'œuvre de Sartre. Il n'est donc pas surprenant que j'aie acheté Aden Arabie, dans la Petite Collection Maspero, pour lire le texte de Sartre, et pour lire l'auteur qu'il avait tenu à présenter. J'ai retrouvé ce vieil exemplaire : l'Achevé d'Imprimer indique « Décembre 1970 ». J'imagine donc que c'est peu après cette date que je suis entré en contact avec ces textes : j'avais dix-sept ans. Et pour le jeune homme révolté que j'étais, le choc a probablement été grand : et celui provoqué par la magnifique préface, et celui provoqué par le récit lui-même. Je ne suis pas tout à fait certain, d'ailleurs, que, à l'époque, j'aie nettement dissocié les deux. C'était un seul livre, pour moi. De nombreux passages y sont soulignés (à l'encre rouge !). Ce ne sont peut-être pas ceux qui retiendraient mon attention aujourd'hui. Par la suite, j'ai lu tout ce qui était ou devenait disponible : Antoine Bloyé, La Conspiration, Le Cheval de Troie... Mais le texte qui m'a le plus marqué, c'est – bien sûr – Les Chiens de garde : la mise en question de la philosophie bourgeoise, et, peut-être plus encore, la critique radicale de la déréalisation du monde social qu'opère le discours philosophique et universitaire. Au moment où j'entreprenais des études de philosophie, dans une atmosphère confinée, comme je l'ai raconté dans Retour à Reims, le pamphlet de Nizan devint vite pour moi une sorte de bréviaire (et une planche de salut, qui me permettait de supporter la situation). Mais c'était aussi une manière de me mentir, de m'illusionner, de me grandir en me comparant à Nizan.

" Nizan... Aujourd'hui ! " : Pendant que je travaillais à Retour à Reims, j'ai relu Antoine Bloyé, et j'ai lu les textes rassemblés dans le volume I de ses articles littéraires et politiques, que je ne connaissais pas. Dans Antoine Bloyé, la question de l'ascension sociale, celle de la « trahison » de classe est posée avec une grande acuité : j'ai d'ailleurs écrit plusieurs pages à ce sujet, dans lesquelles je critiquais l'interprétation de Sartre. Je les ai supprimées de la version finale car elles m'ont semblé quelque peu extérieures au livre. Dans le recueil, j'ai été frappé par l'article qui s'intitule « Secrets de famille », et par la beauté violente de certaines phrases de celui-ci. Il m'est difficile de restituer pleinement l'écho que ces éclats de colère ont fait résonner en moi. Comme Nizan « je fus candidat à la bourgeoisie », ne serait-ce que par l'adhésion à la culture, à la culture légitime, qui fait de vous, et avec votre consentement, l'un des leurs... Ai-je réussi à être, comme lui, « un mauvais exemple », « un bourgeois qui trahit la bourgeoisie au moment même d'y pénétrer » ? Je l'espère. Je m'y efforce en tout cas.

[Didier Eribon est né en 1953 à Reims. Après de nombreux articles et interviews comme journaliste dans Libération puis Le Nouvel Observateur, il est devenu l'auteur de plusieurs essais (entretiens avec Georges Dumézil, Claude Lévi-Strauss, biographie de Michel Foucault) et de livres plus personnels et engagés (Réflexions sur la question gay, D'une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, Retour à Reims). Il est actuellement Professeur à l'Université de Picardie Jules Verne, à la Faculté de Philosophie et de Sciences humaines et sociales.]