« Que pas une de nos actions ne soit pure de la colère » (Aden Arabie, 1931)

Revue ADEN

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Benjamin STORA
(collaborateur au n° 8 d'Aden)

" Je me souviens... " : Je me souviens de Nizan quand je suis entré au Comité Central de l'O.C.I., en 1977. J'avais 26 ans, et j'étais responsable du « Travail étudiant ».
Pendant l'été 1977, je m'en souviens parfaitement, j'étais chez des amis en Provence, je m'ennuyais un peu, et, dans la bibliothèque, il y avait La Conspiration . J'avais entendu parler de Nizan, avant, quand j'étais lycéen, mais je ne l'avais pas lu. Je pris La Conspiration , et ça a été un des chocs de ma vie militante. Un choc profond, véritable.
Pour moi, d'emblée, ce fut le thème de la trahison. Parce que je commençais à douter de mon engagement révolutionnaire. « Est-ce que moi-même je ne suis pas un traître ? ». Par le seul fait de douter.
Je commençais en effet à douter d'un certain nombre de choses, notamment de la fameuse irruption du « grand soir ». Je me posais des problèmes d'insertion sociale : cinq ans que j'étais permanent. Comment concilier l'appartenance communiste et le réel ? Par le syndicalisme étudiant, j'étais confronté au réel ; mais ce rapport au réel, je l'appréhendais comme synonyme de trahison. Et puis, le fait de se poser la question de quitter l'appareil, c'était trahir une famille, dans tout ce que ce terme peut comporter. « Si je fais des choix personnels, individuels, est-ce que je ne suis pas conduit dans un engrenage qui va me conduire de l'autre côté ? » .
Soit la révolution, soit la trahison.
Enfin, j'avais le sentiment, en lisant La Conspiration , qu'il s'agissait de quelqu'un qui jouait à trahir ; que c'était aussi le livre où Nizan annonçait sa « trahison ». Quand Nizan a écrit ce livre, est-ce qu'il ne savait pas qu'il allait partir ? N'adoptait-il pas alors la mauvaise conscience de celui qui allait « trahir » ?

" Nizan... Aujourd'hui ! " : Nizan est revenu comme une grande figure par le développement de mes études sur la guerre d'Algérie.
C'est par l'engagement de Sartre, la préface de ce dernier à Fanon, que Nizan est revenu. Je me suis souvenu de Nizan engagé, de celui qui doute, de sa fidélité et de ses interrogations à la fois.
Nizan est revenu aussi par Camus. Je me suis de suite posé la question de l'attitude de Nizan par rapport à l'affrontement Sartre/Camus. Est-ce que Nizan n'aurait pas douté, comme Camus ?
Enfin, aujourd'hui, Nizan reste pour moi une référence.

[Benjamin Stora, né en 1950, à Constantine (Algérie) est Professeur d'Histoire du Maghreb à l'INALCO.
Derniers ouvrages publiés : La guerre d'Algérie , avec Mohammed Harbi, Paris, Ed Hachette, coll « Pluriels » ; Imaginaires de guerre. Les images des guerres d'Algérie et du Vietnam, Paris, Ed La Découverte, poche, 2004]