« Que pas une de nos actions ne soit pure de la colère » (Aden Arabie, 1931)

Revue ADEN

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Laurence RATIER
(adhérente au G.I.E.N. depuis 2004 et Secrétaire de celui-ci ; Responsable des Bulletins Bibliographiques depuis le n° 4)

" Je me souviens... " : Quand j'ai rencontré l'oeuvre de Nizan, j'étais encore lycéenne. Je devais être en seconde quand une de mes camarades, d'un an plus âgée, admiratrice inconditionnelle de Simone de Beauvoir, me prêta Les Mémoires d'une jeune fille rangée et La Force de l'âge. C'est là que je rencontrai Nizan, qui ne fut d'abord pour moi qu'une silhouette entrevue, au fil des pages, en compagnie de ces fantômes de papier qui avaient nom Olga, Lise ou Pierre Bost. Et puis, en classe de philosophie, je découvris Antoine Bloyé. Nous étions alors au milieu des années soixante. Jean Rouaud n'avait pas encore écrit Les Champs d'honneur, ni Annie Ernaux La Place et rien dans les oeuvres que l'Université offrait en pâture à notre sagacité n'évoquait avec cette proximité le quotidien d'une petite ville de province et le cours monotone et réglé des existences qui s'y déroulaient. Et surtout, le roman de Nizan ne se contentait pas de restituer cet univers, il l'ordonnait, lui donnait un sens, et sur les traces de son anti-héros, ces vies anonymes accédaient à la dignité rassurante d'un destin.
Lorsque, à la fin des années soixante et au tout début des années soixante-dix, François Maspero réédita Nizan dans sa petite collection de poche, je me plongeai dans Les Matérialistes de l'Antiquité, Les Chiens de garde et Aden Arabie, puis dans le recueil de lettres et d'articles intitulé Paul Nizan intellectuel communiste. Etudiante en Lettres classiques à la Sorbonne, je choisis tout naturellement le roman de Nizan comme sujet de maîtrise. Curieuse de revoir l'édition originale que j'avais autrefois eue en mains, j'en fis la demande à la Bibliothèque Sainte-Geneviève où je passais des soirées studieuses. On m'apprit que cet ouvrage faisait partie du Fonds Jacques Doucet et n'était accessible que sur autorisation spéciale. Devant mon insistance, les portes du sanctuaire s'entrouvrirent et, presque seule dans la petite salle de la Réserve au rez-de-chaussée, je pus avec émotion contempler l'exemplaire de la bibliothèque du couturier-collectionneur, dans un état de conservation parfait. Lorsque je voulus le feuilleter, je m'aperçus que les feuillets n'étaient pas coupés. Non sans quelque solennité, on m'apporta alors un coupe-papier de corne et je m'appliquai à découronner les pages d'une main qui tremblait un peu. Mon mémoire de maîtrise fut bien sûr très scolaire et sans grande originalité. Paralysée par une admiration excessive, je n'avais su que redire, dans une prose très marquée par le jargon de l'époque, ce que Nizan avait magnifiquement mis en scène dans son roman : le naufrage personnel d'un homme au fur et à mesure de son ascension sociale. Je n'étais sans doute pas consciente alors que cet itinéraire emblématique était aussi celui de mon propre père, cinquième enfant d'une famille de paysans sans terre de Franche-Comté, qui n'avait échappé à la condition d'ouvrier agricole qui lui était promise que pour se retrouver enfermé dans la peau d'un clerc de notaire de province.
Cependant, l'obligation de gagner ma vie m'arracha aux délices de la recherche désintéressée et je devins professeur de français dans un collège de la banlieue de Nancy. De loin en loin, je relisais Nizan dont les oeuvres, et singulièrement Antoine Bloyé, connaissaient cette consécration posthume que représentent la parution en livre de poche et l'adaptation télévisuelle.

" Nizan... Aujourd'hui ! " : Et puis un jour, au hasard d'une recherche sur Internet, Nizan me fit signe à nouveau, et c'est ainsi que j'adhérai au G.I.E.N.

[Laurence RATIER, née en 1949 à Marmande (47), a effectué des études de Lettres classiques à Bordeaux, puis à Paris et a soutenu en 1971 un Diplôme d'études supérieures sur " Antoine Bloyé ou le roman de la négativité ". Après un court passage dans l'enseignement, elle entre à la Bibliothèque Nationale en 1977. Elle est actuellement chef du service de Littérature française au département Littérature et art]